L’eau alcoolisée : nouvelle mode, réel danger ?

Rafraîchissante, faible en calories, d’origine locale, sans gluten… Les arguments ne manquent pas pour vendre l’eau pétillante alcoolisée, nouveau produit ayant fraîchement débarqué en Belgique. Aux États-Unis, ces « hard seltzer » sont à la mode depuis quelques années. Et ne nous y trompons pas, ce sera encore la tendance pour les années à venir. En effet, d’importants industriels de boissons s’y engouffrent (Coca-Cola ou Inbev, pour ne citer qu’eux) et ça va faire des ravages !

Placement de produit dans les stories Instagram des influenceurs, tête de gondole des rayons « été » des supermarchés ou encore publicités classiques : l’arrivée de cette nouvelle boisson n’a pas manqué de surfer sur les pratiques marketing du moment. Le ton interpelle : la mention de nombreux éléments tels que les calories, le gluten… pourraient laisser entendre que ce produit est sain. Ne nous y méprenons pas : l’eau alcoolisée, c’est toujours de l’alcool, et la boisson, qui titre entre 4,5% et 6% selon les marques, et contient le plus souvent 33 cl, représente bel et bien une unité d’alcool standard, c’est-à-dire 10 gr d’alcool pur, comme c’est le cas pour un verre de 10 cl de vin, 25 cl de bière ou encore 3 cl de vodka.

Pourtant, certaines marques n’hésitent pas à vanter le taux « bas » d’alcool dans leur produit : à 4,5%, le produit n’est cependant pas le plus léger du marché et n’est pas loin du taux d’une bière pils, dont il ne viendrait pas à l’idée de la qualifier de « saine ».

Aux États-Unis, la mention de « boisson saine » a d’ailleurs fait réagir, et l’autorité en charge de la publicité a tranché : « bien que cette boisson ne contienne que 90 calories, celle-ci ne peut être considérée comme saine »[1]. En outre, la mention dans la publicité « d’un petit peu d’alcool » a été également jugée comme abusive, l’eau alcoolisée concernée titrant à 5%. Chez nous, il ne semble pas encore y avoir eu de dérive constatée quant à la publicité pour l’eau alcoolisée… mais examinons de plus près les récentes communications des nouvelles marques présentes sur le marché pour y voir plus clair.

[1]https://www.foodmanufacture.co.uk/Article/2021/07/07/BrewDog-hard-seltzer-ad-slammed-by-advertising-authority

La composition : transparente, car elle sert d’argument

En matière d’étiquetage, l’eau alcoolisée montre patte blanche : en effet, les informations nutritionnelles apparaissent bel et bien – contrairement à toutes les autres boissons alcoolisées, mais c’est parce que la composition sert ici abusivement d’argument de vente. Extraits naturels de fruits, eau de source locale : les marques d’eau alcoolisée veulent informer le consommateur sur la qualité des ingrédients proposés. Si cette pratique n’est pas condamnable en soi, ces allégations de santé s’avèrent avant tout des arguments de vente plutôt que des informations au consommateur pour qu’il fasse un choix éclairé. Le fait que ces hard seltzers soient moins caloriques les rendra peut-être plus attrayantes pour un public qui se sent concerné par cet aspect soi-disant diététique – leur côté « léger » ne les rend cependant pas saines.

De plus, on ne pourrait affirmer que ces boissons sont désaltérantes : leur composition riche en eau ne compense en rien l’effet déshydratant de l’alcool ! Alterner avec de l’eau reste aujourd’hui le moyen le plus efficace de réduire les risques immédiats de la consommation d’alcool et ces produits entretiennent délibérément le flou en la matière : ce concept « d’eau alcoolisée » sous-entend que les besoins en eau du corps sont assouvis alors qu’il masque au contraire l’effet déshydratant de l’alcool ! il n’en est rien, que du contraire.

Les jeunes et les femmes, une nouvelle fois ciblés par le marketing alcool

Fun, déjantée, voire indispensable lors d’une sortie entre amis, l’eau pétillante alcoolisée est présentée comme une boisson festive, ciblant plutôt un public de jeunes adultes, comme le montrent les photos publicitaires des différentes marques.

L’eau pétillante alcoolisée semble moins cibler les 16-18 ans que, par exemple, les « prémix » (mélanges de soft et d’alcool pré-mélangés, disponibles en canettes). Cependant, le côté ludique et l’accent mis sur la légèreté des boissons dans ces campagnes marketing nous incitent à rester vigilants : ce produit étant relativement nouveau sur le marché, il pourrait progressivement séduire également un public de plus en plus jeune. Par ailleurs, le côté « healthy » mis systématiquement en avant, cible clairement un public plus féminin, déjà visé depuis quelques années par bon nombre d’alcooliers.

Au Québec, une publicité pour de l’eau alcoolisée a d’ailleurs fait controverse : la mannequin représentée (au physique très juvénile) et le produit offert en cadeau (une couverture « doudou » à capuche) ont été estimés tendancieux, et propices à influencer un public adolescent.

Nouveau produit, mêmes pratiques

En conclusion, si l’arrivée de l’eau alcoolisée en Belgique ne semble pas encore avoir créé de réel buzz ou de frénésie, comme ça a pu être le cas aux États-Unis[1], la communication utilisée et les exemples de dérives observées ailleurs nous interpellent. Le placement de produits via des influenceurs sur les réseaux sociaux, phénomène concomitant à l’arrivée de ce nouveau produit, est également une pratique à laquelle nous devons veiller. De fait, la publicité via les réseaux sociaux et les influenceurs n’est pas toujours bien définie alors qu’elle a un impact crucial, surtout en matière d’alcool.

Restons donc attentifs à ce que cette eau alcoolisée ne devienne pas effet de mode à outrance et que les allégations de santé associées au produit ne servent pas de poudre aux yeux des consommateurs.

Une pratique commerciale ou une pub vous a interpellé ? N’hésitez pas à nous le signaler via notre formulaire !

[1]Everyone was drinking White Claw” (NB : White Claw est la marque la plus populaire d’eau alcoolisée aux US).

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Un bracelet spécial pour les festivaliers

Cette année, l’Inc’rock Festival proposait des bracelets spéciaux à ses festivaliers. Une manière de contrôler l’âge des (trop) jeunes consommateurs d’alcool dans les différents bars du festival. L’émission “On n’est pas des pigeons” y a fait un petit tour !

Les médecins français plaident pour la politique de prix minimum. Une réflexion est en cours chez les acteurs belges de la prévention.

En France, la consommation alcoolique provoque chaque année 49 000 morts dont 15 000 cancers.

Les médecins français alertent sur les dangers de l’alcool et plaident pour la mise en place de 10 mesures dont celle d’un prix plancher par unité d’alcool, à savoir “taxer l’alcool proportionnellement au contenu en grammes d’alcool et définir un prix minimum de vente par unité d’alcool”.

Consultez ici l’article.

Cette piste, qui semble intéressante pour une part significative des gros consommateurs selon les premières études menées sur le sujet, est encore en réflexion en Belgique. Tous les acteurs ne s’accordent pas encore sur la pertinence de cette mesure car il reste des incertitudes quant à l’impact de cette mesure sur les publics les plus précaires ainsi que sur un éventuel report de ces consommations vers d’autres pratiques.

 

 

Hors-jeu pour l’éthique d’AB Inbev !

Le 20 février, AB Inbev a donné son coup d’envoi : durant 5 mois, la marque « Belgium » remplacera « Jupiler » pour soutenir les Diables à la coupe du monde, histoire de rallier les supporters à la même cause.

“On a voulu faire encore plus que ça. Quand on endosse le rôle de supporter, qu’on soit star, business man ou simple quidam, on porte les couleurs de la Belgique et on perd quelque peu son identité. C’est ce qu’on a voulu traduire. Notre slogan est We Are Belgium et nous allons le montrer. Jupiler perd donc aussi son identité l’espace de 5 mois pour s’appeler Belgium.” indique le brasseur lors de sa conférence de presse du 20 février sur la Grand Place de Bruxelles. Chacun devrait donc perdre son identité pour adopter celle du pays, au profit des actionnaires de la marque.

L’entreprise ne s’en cache d’ailleurs pas : « En tant que marque belge, nous voulons prendre le leadership. C’est un challenge pour toute la nation. À travers le nom Belgium, nous pouvons aussi réaffirmer cette identité belge ».

Voilà un objectif bien ambitieux, et surtout prétentieux, de vouloir s’approprier tous les supporters du pays, voire la nation entière, en cherchant à affirmer une identité nationale par leur mythique produit. Belle humilité !

En créant le buzz, AB Inbev a réussi son coup : focaliser toute l’attention sur la marque, tous les médias ont couvert l’info. Et ce n’est pas nouveau, depuis longtemps, le sponsoring « Jupiler » a réussi à ancrer dans les mœurs un duo inséparable : bière et foot. Pourquoi ai-je envie d’une bière en regardant un match de foot et pas un match de tennis ? Associer sport et alcool est totalement aberrant mais d’une efficacité redoutable. Même notre championnat porte le nom de la marque !

Et ce n’est pas en le remplaçant par « Belgium » (qui, entre parenthèses, nous appartient un peu à tous, non ?) que la pratique est plus acceptable ! C’est même une façon de renforcer davantage l’ancrage culturel de la consommation d’alcool, en particulier de bières, sous nos latitudes.

Rappelons aussi, en passant, qu’une convention privée établit qu’une publicité ne peut associer sport et alcool… Mais bien sûr, AB Inbev se justifiera en précisant (si nous n’avions pas compris leur philosophie) que c’est la bière des supporters et non celle des joueurs.

Les clubs de foot rassemblent aujourd’hui plus de 425.000 membres dans le pays, dont la moitié sont mineurs, et c’est sans compter les supporters. L’image du foot et de ses stars a donc un impact colossal. Trouve-t-on normal que celle-ci soit empreinte d’une teinte alcoolisée ? Et ne doit-on pas s’indigner de la présence du staff de l’Union belge de football assis au premier rang de la conférence de presse ?

Si l’alcool fait partie de notre culture et que boire un verre n’a jamais tué personne, il ne faut pas oublier les effets importants qu’il peut engendrer sur la santé. Outre ces risques, l’alcool coûte à la société bien plus qu’il ne lui rapporte. Alors, trouve-t-on cohérent de faire la promotion d’un produit dont les conséquences sur le bien-être individuel et collectif sont inéluctables ?

Se pose également la question du choix et de la liberté individuelle. Déjà victimes d’une société de consommation qui nous matraque au quotidien de nouveaux produits et de publicités qui en vantent les mérites, nous voilà à nouveau pris au piège par une campagne qui veut nous faire adhérer à un produit et nous imposer son identité. Si l’alcool désinhibe, il décomplexe aussi totalement AB Inbev !